Chapitre 1

Assis à califourchon sur un des merlons d’une tour des chutes de la dague, Gurthang promenait son regard sur les ravages de la dernière émeute.Les révélations de Carline le troublait. Gurthang se préparait donc, laissait son esprit se relaxer et se concentrer sur les peu de choses dont il ne doutait pas. Des débris de maisons fumaient encore, d’autant plus visible que l’hiver approchait et le froid du matin rendait les traînées blanches montant vers le ciel plus visible. Suivant de ses yeux un panache s’élevant, les yeux dans le vague se perdant dans les contrastes bleus et orangée de la lumière du soleil levant, la torpeur l’envahissait.

Cette vision lui était familière, très familière même. D’où cela lui venait-il ? Un déjà-vu ? Un souvenir ? Ca y est, cela lui revenait, un souvenir, même son premier souvenir… Sa vision se troublait, il sentait son esprit tiré, happé vers l’extérieur, le rugissement sortant de sa bouche lui semblait si loin… La souffrance était intenable, il se voyait pris de convulsions et son corps chutant du mur vers les douves, autour de lui le monde avait changé de couleur. Et pourtant la joie indicible de ce premier souvenir le rattachait à une réalité, une autre réalité.

La fumée montait de la petite cheminée toit de chaume de sa datcha, l’aube se levait et le parfum de la rosée chatouillait ses narines. Des cheveux gris blonds lui tombaient sur le visage et de sa petite main essayait d’attraper le soleil. Un chiot à la truffe humide lui chatouillait les pieds. Les hoquets de rire qui le secouaient semblaient ravir sa mère qui le tenait. Il n’avait jamais été plus heureux. Il ne pouvait se souvenir de son visage alors mais il savait que c’était elle, sa mère.

Il se rappelait surtout de la chienne loup allait devenir sa compagnie favorite, Gurthang se revoyait explorant la maison, le jardin, marchant avec hésitation, une main dans la fourrure de Krishka juste derrière son cou. Dans le froid de l’hiver, il se roulait en boule au coin de l’âtre, entre ses pattes, sa tête posée sur son ventre. Il s’endormait ainsi avant que sa mère le ramène dans son lit. Toujours elle, une présence bienveillante et aimante, il y avait toujours une note de regret qui passait dans ses yeux bleus acier chaque fois qu’elle regardait son fils et un peu de colère lorsqu’elle voyait l’enfant jouant avec Krishka.

Le contact de l’eau froide des douves et l’impact de la chute ramenèrent brièvement le demi dragon à la réalité mais le processus était enclenché et son esprit, son âme se sentait tirée, arrachée… Non, pas dans les douves, il était ailleurs, emporté par un courant d'eau froide et visqueuse. La douleur revenait plus puissante que jamais et les souvenirs heureux avaient disparu et n’offraient plus le bienheureux soulagement. Les peines et afflictions passées déferlaient massivement à travers sa mémoire.